Comment le Ketama, région du nord du Maroc, est-il devenu le " bled et
kif"? Comment la tribu Ketama s'est-elle spécialisée jusqu'à faire du
cannabis la monoculture de la région? Sur quelles raisons historiques et
culturelles s'appuie la tolérance dont elle bénéficie encore
aujourd'hui? Comment une culture traditionnelle marginale, inscrite dans
un système d'échange limité, devient en un siècle et demi la seule
ressource d'une communauté au sein d'une économie de profit? Comment les
structures familiales et sociales ont-elles évolué pour permettre la
maîtrise d'un marché international très lucratif à partir d'une base
sociale défavorisée? Pour répondre à ces questions, une approche
socio-économique nous fait découvrir des pistes inattendues. Le
particularisme de l'identité culturelle des Ketama s'exprime en effet
dès le Xe siècle lorsqu'ils tentent de propager le chiisme, et jusqu'au
XVIIIe quand leur confrérie Haddawa les agrège autour de la consommation
du cannabis dans un cadre rituel. Plus tard, cette adhésion à la
culture du cannabis sera facilitée par les bouleversements
socio-économiques de la colonisation espagnole, puis par ceux liés à la
réunification du royaume, et finalement par les débouchés économiques
trouvés en Europe par les émigrés. Khalid Mouna nous livre ici les
résultats de ses recherches qui ont donné lieu à une thèse dont
l'intérêt, dépassant le seul cadre des Ketama, jette un éclairage
anthropologique nouveau sur l'ensemble du Rif marocain. Concernant les
Ketama, ce travail permet de saisir comment des valeurs anciennes ont
été à la fois subverties et réinvesties dans la nouvelle économie du
kif.